lundi 5 janvier 2015

Le château de Marly restitué en 3D

Parmi les beaux livres de Noël 2014 est sorti aux éditions de Gourcuff l’ouvrage de Stéphane Castelluccio consacré au château de Marly. Cette importante monographie retrace l’histoire de ce château aujourd’hui disparu, depuis sa construction par Louis XIV jusqu’à la Révolution. L’auteur y étudie particulièrement le décor intérieur et le mobilier laissé par les différents monarques au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. L’ouvrage s’achève par un album composé d’une dizaine d’images 3D réalisées par Aristeas : le lecteur découvre alors les couleurs stupéfiantes des façades peintes en trompe-l’oeil, mais aussi la blancheur élégante du Salon octogone ou l’intimité des pièces composant l’appartement du roi…


Ces spectaculaires images 3D sont issues d’un long travail d’analyse puis de modélisation 3D qui avait été mené en 2011-2012 par Aristeas, sous la conduite d’un comité scientifique (Stéphane Castelluccio, Gérard Mabille, Bruno Bentz, Vincent Maroteaux) dirigé par le Musée-promenade de Marly-Louveciennes (Christine Kayser, Géraldine Chopin).
Cette modélisation 3D avait été commandée à Aristeas par le Musée-promenade, dans l’objectif de produire un film, une visite virtuelle et une maquette en prototypage pour le Musée–promenade. L’ensemble de ces réalisations sont aujourd’hui exposées parmi les collections permanentes du Musée.

Quelles sources documentaires pour la modélisation 3D ?
Coupe du château de Marly ©Archives nationales
L’état retenu pour la modélisation a été celui du château en 1715, à la mort de Louis XIV. 
Le document ayant servi de référence à Aristeas tout au long du projet a été sans aucun doute la coupe des Archives nationales. Le dessin offre en effet une vision très précise de l’articulation des volumes et de la nature des décors. Bien que très complète, cette coupe laisse pourtant des zones d’ombre qu’il a fallu explorer à la lumière d’autres relevés, dessins et projets de provenances variées : collection du Musée-promenade, château de Versailles, archives départementales des Yvelines, musée de Stockholm… Ainsi une série de gravures du Centre de recherche du château de Versailles portant sur l’ensemble des cheminées du château nous a permis de renseigner l’élévation des murs jusqu’à leur corniche.
Parmi les nombreuses représentations iconographiques de l’architecture extérieure du château, souvent fantaisistes et parcellaires, celle qu’en donne les frères Martin dans leurs différents tableaux a été considérée par le comité comme étant la plus juste.
En ce qui concerne les sources écrites, l’Inventaire du mobilier à la mort de Louis XIV, les Comptes des Bâtiments du roi, ainsi que les descriptions de Piganiol de la Force ont permis de valider ou de compléter certaines informations.
Enfin, il convient naturellement de citer les éléments mobiliers arrivés jusqu’à nous : les nombreuses peintures, conservées en partie au Musée-promenade, ainsi que quelques rares éléments mobiliers.

Des façades polychromes
C’est sans doute sur le sujet de la polychromie des façades que furent menées les plus âpres discussions... Il s’est agi de compiler, de confronter les sources afin d’en offrir la synthèse la plus vraisemblable possible.
Reconstitution 3D du pavillon royal de Marly © Aristeas
Conformément aux tableaux des frères Martin et aux descriptions écrites, l’ensemble peint à fresque a donc été représenté de couleur pierre, rose et or ; cette palette chromatique est d’ailleurs celle du Grand Trianon, construit également par Jules Hardouin-Mansart quelques années plus tard. 
Les corniches ont été restituées en faux marbre rose : la présence d’un enduit rose retrouvé sur un morceau de la corniche de l’un des pavillons vient corroborer cette hypothèse (conservé au Musée-promenade). Les sources écrites soulignent la dorure ainsi que la présence d’un bleu lapis. Il a paru pertinent d’appliquer les dorures sur les trophées, et de réserver le bleu aux fresques des frontons représentant la course du char d’Apollon dans le ciel.
Enfin, conformément à la coupe, les fresques ornant le corridor extérieur et faisant le tour du Salon octogone, ont été restituées en teinte pierre, avec des décors de grisaille.

Le château, pièce par pièce…
Pour la reconstitution 3D de l’architecture intérieure du château, les membres du comité scientifique ont du se prononcer avec exhaustivité sur tous les éléments : modénature, décor, mobilier, ameublement, peinture.
Surprenante de prime abord, la prédominance de la couleur blanche est pourtant clairement attestée dans les Comptes des Bâtiments du Roi qui soulignent régulièrement la réfection en blanc du rez-de-chaussée de Marly. Seuls les cadres de glace et les bordures des tableaux sont dorés.

Le Grand Salon octogone est bien connu grâce à la coupe des Archives nationales. Aristeas en a proposé une restitution 3D à différentes heures du jour et de la nuit. 

Reconstitution 3D du Salon octogone de Marly. Sur l'attique, les cariatides ont été réalisées par Aristeas à partir de capture numérique des termes du jardin de Versailles reprenant, comme à Marly, le thème des saisons et des mois de l'année. © Aristeas
Les partis de restitution sur les vestibules nord et sud ont été plus difficiles à arrêter en raison des modifications qu’ont eu à subir ces deux pièces, avec notamment l’installation de grandes cheminées. Le comité a finalement retenu comme source principale le dessin de Gabriel.
La reconstitution 3D des trois pièces composant l’appartement du roi (antichambre, chambre et cabinet) a constitué un véritable défi puisque nous n’en connaissons aucune représentation, hormis les dessins des trumeaux de cheminées mentionnés ci-dessus. Seuls nous sont parvenus des plans et surtout des inventaires répertoriant de très précieuses informations : couleur des meubles d’étoffes des trois pièces (tentures murales, rideaux et tissus d’ameublement), marbre des cheminées et, bien sûr, pièces de mobilier avec leur emplacement…

Restitution 3D de la cheminée de l'antichambre de l'appartement du roi à Marly. A gauche, la gravure qui a permis la restitution du décor. © Aristeas


Une « recomposition » virtuelle du mobilier

Menée particulièrement sous l’égide de Stéphane Castelluccio, l’une des « enquêtes » les plus passionnantes fut sans doute celle concernant le mobilier. En effet, en dehors d’une table des vestibules (conservée au Salon de Mars du château de Versailles) et d’un paravent passé récemment en vente publique, aucun mobilier du château de Marly ne nous est resté… Pour tous ces éléments, Hubert Naudeix a donc du rechercher des solutions de représentation, au cas par cas.

Vestibule est. La table reconstituée en 3D est l'un des seuls mobiliers existants de Marly © Aristeas

La reconstitution 3D présente ainsi des pièces de mobilier existantes, correspondant à la description des inventaires, mais ayant été commandées pour d’autres demeures royales (exemple dans l’antichambre : les deux commodes estampillées Boulle, en marqueterie d’écaille et de cuivre, avec trois tiroirs et ornement de bronze dorée). Malheureusement, les meubles crées pour Marly n’ont pas toujours eu, ou n’ont plus aujourd’hui, d’équivalents dans d’autres collections ; Hubert Naudeix a donc entrepris de les recomposer virtuellement. Les niches des chiens du vestibule, les cabinets ou encore le bureau de la chambre du roi (dont le décor Boulle a été imaginé à partir d’un autre bureau de Louis XIV, conservé au Metropolitan de New-York) ont ainsi été « recréés » d’après une analyse minutieuse des inventaires et des sources diverses. Dans cette recherche du moindre détail, chaque indice s’est avéré précieux. Ainsi une anodine description du contenu a-t-elle pu nous renseigner sur les dimensions du contenant (les inventaires soulignent, en donnant leur dimension et leur nombre, l’existence de petites maquettes de boutique réalisées en filigrane et qui ont donné la taille du meuble les accueillant). Dans un même esprit, la description des étoffes, souvent très précises, a permis de recomposer virtuellement les brocarts. 
La précision des documents et le travail d’analyse ont donc permis de proposer des hypothèses de restitution allant dans le moindre détail…

Interface du logiciel 3D présenetant la restitution de l'antichambre de l'appartement du Roi à Marly. Détail sur le bureau en marqueterie Boulle. Ce bureau, dont il n'existe aucune représentation, a été restitué d'après les description présentes dans les inventaires du mobilier de Marly. © Aristeas


Aujourd’hui au Musée-promenade : une maquette et une visite virtuelle
Une fois effectuée par Hubert Naudeix, la modélisation 3D a été « déclinée » en deux produits muséographiques distincts : une visite virtuelle et une maquette.
La visite virtuelle commence dans les jardins, en bas de la grande allée qui mène à l’emplacement du château. La reconstitution 3D du pavillon surgit alors dans son environnement actuel. Dès lors, le visiteur est invité à déambuler devant, puis à l’intérieur du château, grâce à une manipulation sur écran tactile. En se déplaçant dans l’image virtuelle, il peut faire apparaître des notices explicatives sur certains tableaux, mobilier ou éléments d’architecture. Toutes les images de synthèse qui composent la visite virtuelle ont été produites à partir de la modélisation 3D du pavillon. Les calculs numériques ont permis de créer des mouvements de caméra et des effets de lumière dans le décor virtuel. Afin de rendre la sensation d’une véritable promenade dans les lieux, le cadrage a toujours été celui dit « en caméra subjective », c’est-à-dire à hauteur d’homme. Certaines vues sont particulièrement spectaculaires, comme celle du Grand Salon vue depuis la loge des musiciens à l’étage.

La maquette réalisée en prototypage d'après le modèle 3D d'Aristeas :
travail en cours puis exposée au Musée-promenade © Aristeas
La modélisation 3D du pavillon a permis également la réalisation d’une maquette de l’ensemble du pavillon royal, coupée sur un quart, offrant ainsi au visiteur la possibilité d’admirer l’architecture intérieure de l’appartement du roi. Les pièces qui la composent sont en grande partie issues d’un procédé de prototypage. Les fichiers ont été traités par des « imprimantes 3D » ayant la capacité de sortir l’objet numérique en résine translucide. Tous les détails modélisés se retrouvent donc dans chacune des pièces de la maquette. Une fois l’ensemble des pièces réalisées en prototypage, elles ont été confiées à notre partenaire Philippe Velu, spécialiste des maquettes du patrimoine architectural ; son travail a consisté à peindre et assembler toutes les pièces jusqu’au rendu final.

La conception de la modélisation 3D du pavillon de Marly donne une représentation de l’état des connaissances sur son architecture ; sur certaines questions, elle a même engendré de nouvelles interrogations pour lesquelles le comité a été invité à proposer des hypothèses. En cela, elle constitue une remarquable synthèse des dernières recherches sur ce palais disparu.
Le souci permanent d’étayer les différentes hypothèses de restitution et le sens du détail qui ont prévalu tout au long de ce projet, notamment dans la reconstitution de l’ameublement intérieur, font de cette restitution 3D un projet exceptionnel.

Au-delà, la modélisation 3D du pavillon royal de Marly permet désormais de proposer aux visiteurs du Musée-promenade un film en image de synthèse et une maquette : de la recherche scientifique à la médiation, il n’y aura eu qu’un pas…

Cet article a été publié dans la revue « Marly,art et patrimoine », n° 7, 2013

A lire
Marly, par Stéphane Castelluccio
Editions Gourcuff Gradenigo, 240 p., 59 €