C’est en ayant pris connaissance
du projet d'Aristeas de restitution 3D de la Ménagerie de Versailles (Château de Versailles, 2010) que Jean Pruvost, président de l’association « Histoire d’Orgeval » se décida à contacter Hubert Naudeix pour un projet de reconstitution virtuelle... un peu particulier.
Il s’agit, dit-il confiant,
de reconstruire en 3D l’abbaye d’Abbecourt, à Orgeval , au temps de son apogée, juste avant la Révolution de 1789. Cette réalisation devrait
permettre de diffuser à un public élargi les connaissances sur cette abbaye aujourd’hui quasiment disparue. La difficulté du projet est que…hormis
quelques vestiges sur place et sources iconographiques très maigres, la
documentation est constituée uniquement d’archives écrites !
Restituer l’abbaye à
partir de devis de maçonnerie et de compte-rendu d’architecte ? De mémoire
d’Aristeas, on n’avait jamais fait cela !
Rapide petite histoire de l’abbaye
d’Orgeval
L’abbaye Notre-Dame d'Abbecourt se situe à Orgeval, dans le département des Yvelines. Elle appartient à l'ordre des prémontrés et son existence est attestée dès le XIIe siècle. Démolie par la Guerre
de Cent ans, elle est reconstruite puis agrandie au XVIIe et XVIIIe
siècle. L’abbé Grisard, ancien aumônier du roi Louis XV, entreprend l’édification
d’un nouveau logis des hôtes vers 1740 ainsi que celle d’une galerie de cloître.
En 1741, c’est l'architecte Louis François Herbet qui dresse les plans d'une
nouvelle église dont la construction sera finalement achevée par l'architecte
Claude Louis d'Aviler. Vers les années 1780, le dortoir est reconstruit par
Jean-François Raimbert. L’église est finalement détruite à la Révolution et l’ensemble
des bâtiments conventuels en 1827.
La nécessité d’une étude préalable à la reconstitution 3D
Après une rapide consultation des sources écrites, la nécessité d’une véritable étude s’est rapidement imposée afin de mener à
bien les étapes suivantes :
- Collecte et analyse des sources textuelles et iconographiques
existantes ;
- Transcription des sources textuelles ;
- Relevé des vestiges en place ;
- Etude des autres édifices de référence (autres abbayes du l'ordre des prémontrés et/ou autres bâtiments construits par Claude-Louis D'Aviler) permettant de combler les lacunes
laissées par les sources.
L’ensemble de ce travail s’est révélé beaucoup plus important que
prévu en raison de la complexité de l’analyse : découverte de nouvelles
sources, contradictions entre les documents, recherches historiques et
architecturales... Il a néanmoins constitué une étape passionnante,
indispensable à la bonne conduite artistique et scientifique du projet.
La collecte et l’analyse des
sources
L’étude des sources a constitué la base de données rendant possible la réalisation du modèle
3D de l’abbaye d’Orgeval.
=> Archives écrites
Parmi les sources du XVIIIe siècle, les mémoires d’architectes
et procès-verbaux apportent des informations concernant les dispositions de
l’abbaye : architecture des lieux, distribution ou aménagement intérieur et
extérieur. Parmi ces documents, citons :
- L’Etat (inachevé) des ouvrages faits par Godard en 1742 :
ce document renseigne essentiellement sur l’église et l’aile du cloître ;
- L’Etat initial du bâtiment, l’Etat des
constructions et le devis rapportés par Daviler en 1742, ainsi que le
procès-verbal rédigé par Declerembourg le 3 octobre 1743, concernant les
travaux effectués ;
- Le procès-verbal établi par l’expert Pierre-Hypolite Le Moine en
1790, offrant une description relativement complète du complexe monastique. Il renseigne
notamment de l’état de la distribution intérieure.
Par ailleurs, certaines informations parcellaires contenues dans les
différents devis établis par les ouvriers, charpentier, couvreur, vitrier… ont
été analysées. S’agissant pour la plupart du temps de réparations ou
d’interventions ponctuelles, elles ont cependant été exploitées avec
précaution.
=> Cartes et plans
A ces sources écrites, vinrent s’ajouter quelques cartes et plans (cartes de chasse, plans de paroisse, cadastres…) représentant le site de l’abbaye d’Abbecourt.
Le plan d’Henri Griset présente les dispositions de l’abbaye après les travaux menés par Claude-Louis D’Aviler. Les proportions de chaque édifice semblent réalistes à l’exception du bâtiment de la cour d’entrée qui devait être sans doute bien plus large : abritant en effet des écuries à doubles rangs, ce commun devait mesurer approximativement huit mètres de profondeur. Les différents modes de couvertures ne sont pas tous signalés et le tracé comporte des imprécisions.
Ce document est de loin le plus précis. Il doit cependant être regardé avec précaution puisqu’il ne s’agit pas de l’original mais d’un plan de 1630 redessiné en 1951.
Le plan d’Henri Griset se complète cependant très bien avec le plan des bois de l’abbaye d’Abbecourt détenu aux archives départementales des Yvelines et concordant avec toutes les informations contenus dans les textes.
Ce document est de loin le plus précis. Il doit cependant être regardé avec précaution puisqu’il ne s’agit pas de l’original mais d’un plan de 1630 redessiné en 1951.
Le plan d’Henri Griset se complète cependant très bien avec le plan des bois de l’abbaye d’Abbecourt détenu aux archives départementales des Yvelines et concordant avec toutes les informations contenus dans les textes.
=> Iconographie
Les sources iconographiques de l’abbaye d’Abbecourt sont peu
nombreuses. Datent du XIXe siècle, elles rendent compte de l’état ruiné de l’abbaye :
- deux croquis d’Edmond Bories ;
- un tableau d’auteur anonyme ;
- une photographie d’auteur anonyme
Sur cette photographie, on aperçoit le décrochement courbe du mur de
refend, orné de trophée et de pilastres cannelés en léger relief. On aperçoit
également un contrefort extérieur faisant pendant au pilastre intérieur. Sur
les jambages de l’arcade axiale, une cavité est visible à mi-hauteur : il
témoigne de la présence antérieure d’un plancher, sans doute celui du chœur de
nuit.
Photographie du mur de l'église, vers 1900 |
=> Vestiges en place
Sur le site de l’abbaye, une démolition
systématique et d’importantes transformations du terrain ont sans doute détruit
en profondeur nombre de vestiges de l’abbaye et rendront difficiles des
fouilles sur le terrain. On peut observer cependant que le site a gardé le
tracé de ses grandes lignes. En superposant une photographie aérienne du site
et le plan de l’abbaye, on constate que la parcelle est restée quasiment vierge
de constructions.
Mais le vestige le plus signifiant est sans aucun doute le mur long de plus de 60 m et haut de 3 m environ (6). Aujourd’hui simple clôture entre deux champs, ce mur est constitué des murs Est de l’église abbatiale (A), de l’aile des moines (B) et du bâtiment de commun (C) qui la prolonge. On y observe, les arrachements (7) des contreforts de l’église, le nombre et le décor des baies (8) de l’aile des moines, un soupirail (9) sous la première baie de l’aile des moines, une large porte (10) (murée lorsque le mur fut transformé en clôture), les soupiraux (11) du bâtiment de commun et les traces de fenêtres (12), peu visibles sous une épaisse végétation.
La restitution des plans de l’abbaye, travail préalable à la reconstitution 3D
La restitution des plans par Aristeas a été rendue possible par la compilation des
informations provenant des différentes sources mentionnées ci-dessus. Certains points soulevant des
contradictions entre les documents ou certaines lacunes ont cependant fait l’objet d’hypothèses
établies selon deux principes :
- par comparaison avec les édifices de référence (autres
bâtiment de l’ordre des prémontrés et/ou de Claude D’Aviler : Mondaye,
Pont-à-Mousson, Notre-Dame de Licques, Notre-Dame du Bec, Auberives, château de
Talmay) ;
- en redonnant à l’ensemble une logique de distribution
correspondant d'une part, au fonctionnement d’une abbaye dans son contexte du XVIIIe
siècle, et d'autre part aux critères d’usage et
d’esthétique du temps, comme, par exemple, celui d’une recherche de symétrie
dans le plan de chaque pièce importante.
Il est à noter également le recours aux différents traités
d’architecture contemporains à la construction de l'abbaye d'Orgeval, et particulièrement à celui d’Augustin-Charles
Daviler, oncle de Claude-Louis D’Aviler, proposant dans ses Cours d’architecture un répertoire de
formes, d’aménagements et de décors. Nul doute que son neveu n’ignorait pas
ses œuvres de théoricien et ses publications... En regardant en détail quelques planches, on trouve d’ailleurs
d’intéressantes similitudes avec des bâtiments réalisés par Claude-Louis
(voir par exemple les lucarnes du château de Talmay).
La juxtaposition de ces données s’est avéré complexe et a nécessité
de nombreux « aller et retour » entre les différentes hypothèses. Toutefois le
résultat présenté ci-après offre une image cohérente et sans doute proche
de l’organisation de l’abbaye, en tout cas dans l’état actuel de nos
connaissances et des sources mises à disposition.
La cour du cloître. Le dessin de la grille est inspiré des Cours d’architecture d’Augustin Charles d’Aviler ©Aristeas
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Perspectives 2015-2016 : vers la redécouverte de l'abbaye d'Orgeval
Après l’étude et le travail de modélisation, deux autres phases vont suivre au cours des années à venir :
2015 : Réalisation du modèle 3D texturé. Cette phase du travail, également appelé mapping, a pour objectif de doter le modèle 3D de ses matériaux : pierre, enduits.... Le rendu de qualité photoréaliste devrait permettre la réalisation d’images virtuelles spectaculaires.
2016 : Réalisation d’un film afin de porter à la connaissance du plus grand nombre l’existence de l’abbaye d’Orgeval.
Le défi de l'association « Histoire d’Orgeval » est en passe d'être relevé puisque les phases les d'interprétation les plus délicates ont pu être menées à bien.
Parions que cette proposition de restitution 3D de l'abbaye Notre-Dame d'Abbecourt saura susciter des échanges féconds au sein de la communauté scientifique. Elle permet en tout cas dores et déjà de sortir de l'oubli un édifice important de l'ordre des prémontrés ; au-delà, elle contribue à restituer la mémoire vive d'un territoire...
Parions que cette proposition de restitution 3D de l'abbaye Notre-Dame d'Abbecourt saura susciter des échanges féconds au sein de la communauté scientifique. Elle permet en tout cas dores et déjà de sortir de l'oubli un édifice important de l'ordre des prémontrés ; au-delà, elle contribue à restituer la mémoire vive d'un territoire...