Paris, 1808, place de la Bastille : Napoléon fait poser la première pierre d’une fontaine représentant un immense éléphant fait du bronze fondu des canons espagnols. A défaut d’une réalisation jamais achevée, c’est avec son modèle en plâtre grandeur nature que les Parisiens vont cohabiter pendant plus de trente ans. Chanté, raillé, célébré… celui que l’on appelle désormais « l’éléphant de la Bastille » entre dans la mémoire urbaine, « ébauche prodigieuse, cadavre grandiose d’une idée de Napoléon », comme le salue, admiratif, Victor Hugo dans Les Misérables.Aujourd’hui, parmi tous les Parisiens qui déambulent dans le quartier de la Bastille, combien connaissent l’histoire inachevée de l’éléphant de Napoléon ?
C’est précisément pour
réparer l’oubli de cet incroyable projet qu’Hubert Naudeix et Mathilde Béjanin,
curieux de tout, se sont plongés avec enthousiasme dans cette étonnante histoire…
Leurs recherches les ont menées dans les sous-sols de la Place de le Bastille,
bien entendu, mais aussi au musée Carnavalet, à la Bibliothèque nationale…
Bonne surprise : les documents sont nombreux, permettant de retracer
l’histoire mouvementée de cet éléphant… et de le reconstituer virtuellement !
Une petite histoire de l’éléphant en cinq actes
Acte
I – 1808 : une idée de l’empereur (et de Vivant Denon)
Dans
une note adressée à son ministre de l’Intérieur, Napoléon demande de faire
« dresser sans délai les plans, dessins et devis de la construction d’une
fontaine sur la place de la Bastille ». Cette fontaine, précise t-il,
« représentera un éléphant portant une tour à la manière des
anciens ».
Acte
II – 1810 : le décret, acte de naissance de la fontaine
« Il
sera élevé, sur la place de la Bastille, une fontaine sous la forme d’un
éléphant en bronze, fondu avec les canons pris sur les espagnols
insurgés ; cet éléphant sera chargé d’un tour et sera tel que s’en
servaient les anciens ; l’eau jaillira de sa trompe. Les mesures seront
prises de manière que cet éléphant soit terminé et découvert au plus tard le 2
décembre 1811. »
La
direction du chantier revient à Jean-Antoine Alavoine. Ses nombreux croquis et
ébauches témoignent de l’évolution de son projet ; d'une version naturaliste
très dépouillée, l’architecte évolue peu à peu vers des modèles dont la
dimension orientaliste est plus marquée. Alavoine livre enfin en 1812 le projet
d’un éléphant colossal de quinze mètres de haut et seize mètres de long. Le
pachyderme, juché sur sa fontaine, culmine à près de vingt-quatre mètres.
Acte
III – 1813 : une maquette en plâtre grandeur nature
Commencés
en 1810, les ouvrages en terrassement et maçonnerie sont quasiment terminés en
1813. De son côté, le sculpteur Bridan se voit confier la
réalisation d'une maquette en plâtre grandeur nature de l’éléphant.
Mais
les détracteurs sont nombreux et le vent de l’Histoire souffle dans la mauvaise direction ; on
s’apprête à entreprendre la fonte de l’éléphant lorsque la Restauration met un
coup d’arrêt au projet…
Acte
IV – 1815-1831 : de l’éléphant à la colonne de Juillet
Au
grès des soubresauts politiques, l’existence de l’éléphant n’a de cesse de
vaciller. Sous la monarchie de Juillet, le retour en grâce du souvenir
napoléonien laisse espérer une reprise des travaux. Mais cet espoir est anéanti
en juillet 1831. Louis-Philippe ordonne en effet la construction « sur
l’ancien emplacement de la Bastille, d’un monument funéraire en l’honneur des
victimes des trois journées. » Le destin de l’éléphant de la Bastille est
scellé.
Acte
V – 1846 : la deuxième mort de l’éléphant, la destruction de la maquette
Le
préfet de la Seine Rambuteau ordonne la démolition de la maquette de
l’éléphant. Des ruines de l'éléphant de la Bastille, dit-on, s’échappent
des cohortes des rats qui terrorisent le quartier plusieurs semaines durant…
Achever l’éléphant…
Si
l’éléphant d’Alavoine ne fut finalement jamais fondu, il ouvrit très vite la
voie à un défilé inventif de pachydermes de tout style, depuis les années 1850
jusqu’à aujourd’hui. Les artistes – littérature, cinéma, dessin, BD, spectacle
de rue… - s’approprient le projet, le faisant accéder au statut de véritable
fantasme.
Il
n’en fallait pas plus pour nous donner envie de s’inscrire dans cette lignée
littéraire et artistique féconde. Achever virtuellement ce qui ne l’a pas été
dans la réalité…
Parmi
les nombreuses archives d’Alavoine – l’architecte a tout de même planché sur le
sujet pendant la bagatelle de vingt ans ! -, il s’est agi pour nous
d’arrêter celui qu’il nous fallait restituer. La vue de la coupe et celle, très
proche, de la vue perspective datant de 1808 nous a semblé la plus pertinente ; en tout cas, celle qui a été la plus vraisemblablement choisie et commencée à
être construite.
Une
fois ce parti arrêté, le travail de modélisation proprement dit a pu commencer.
Certes,
Hubert Naudeix est plus familier dans la modélisation des courbes
d’architectures que dans celles d’un éléphant mâle d’Asie ! Heureusement,
le logiciel Z-Brush vient à son secours et lui permet la modélisation de
l’animal sans trop de difficultés… Après
l’éléphant somme toute rapidement exécuté, il fallut entreprendre la
modélisation de l’harnachement dans ses moindres détails : pompons,
pendeloques, perles en tout genre constituèrent un défi… de patience.
Mais
le principal challenge était sans nul doute artistique et concernait la
création de textures des matières – bronze pour le corps de l’animal et bronze
doré pour l’harnachement. Une patine à trouver pour donner l’illusion du réel…
Et
si l’éléphant avait été vraiment construit ? Avouez que vous ne verrez plus
la place de la Bastille comme avant…
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La place de la Bastille comme nous ne la verrons jamais ! ©Aristeas |
A lire
L’éléphant de Napoléon, par Matthieu Beauhaire, Mathilde
Béjanin et Hubert Naudeix