Parmi les beaux livres de Noël 2014 est sorti aux éditions de Gourcuff l’ouvrage de Stéphane Castelluccio consacré au château de Marly. Cette importante monographie retrace l’histoire de ce château aujourd’hui disparu, depuis sa construction par Louis XIV jusqu’à la Révolution. L’auteur y étudie particulièrement le décor intérieur et le mobilier laissé par les différents monarques au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. L’ouvrage s’achève par un album composé d’une dizaine d’images 3D réalisées par Aristeas : le lecteur découvre alors les couleurs stupéfiantes des façades peintes en trompe-l’oeil, mais aussi la blancheur élégante du Salon octogone ou l’intimité des pièces composant l’appartement du roi…
Ces spectaculaires images 3D sont issues d’un long travail d’analyse puis
de modélisation 3D qui avait été mené en 2011-2012 par Aristeas, sous la conduite
d’un comité scientifique (Stéphane Castelluccio, Gérard Mabille, Bruno
Bentz, Vincent Maroteaux) dirigé par le
Musée-promenade de Marly-Louveciennes (Christine Kayser, Géraldine
Chopin).
Cette modélisation 3D avait été commandée
à Aristeas par le Musée-promenade, dans l’objectif de produire un film, une visite
virtuelle et une maquette en prototypage pour le Musée–promenade. L’ensemble de
ces réalisations sont aujourd’hui exposées parmi les collections permanentes du
Musée.
Quelles sources documentaires pour la modélisation 3D ?
Coupe du château de Marly ©Archives nationales |
L’état retenu pour la modélisation
a été celui du château en 1715, à la mort de Louis XIV.
Le document ayant servi de
référence à Aristeas tout au long du projet a été sans aucun doute la coupe des
Archives nationales. Le dessin offre en effet une vision très précise de
l’articulation des volumes et de la nature des décors. Bien que très complète,
cette coupe laisse pourtant des zones d’ombre qu’il a fallu explorer à la
lumière d’autres relevés, dessins et projets de provenances variées :
collection du Musée-promenade, château de Versailles, archives départementales
des Yvelines, musée de Stockholm… Ainsi une série de gravures du Centre de
recherche du château de Versailles portant sur l’ensemble des cheminées du
château nous a permis de renseigner l’élévation des murs jusqu’à leur corniche.
Parmi les nombreuses
représentations iconographiques de l’architecture extérieure du château,
souvent fantaisistes et parcellaires, celle qu’en donne les frères Martin dans
leurs différents tableaux a été considérée par le comité comme étant la plus
juste.
En ce qui concerne les sources
écrites, l’Inventaire du mobilier à la
mort de Louis XIV, les Comptes des Bâtiments du roi, ainsi que les descriptions
de Piganiol de la Force ont permis de valider ou de compléter certaines
informations.
Enfin, il convient naturellement de
citer les éléments mobiliers arrivés jusqu’à nous : les nombreuses peintures,
conservées en partie au Musée-promenade, ainsi que quelques rares éléments
mobiliers.
Des façades polychromes
C’est sans doute sur le sujet de
la polychromie des façades que furent menées les plus âpres discussions... Il
s’est agi de compiler, de confronter les sources afin d’en offrir la synthèse
la plus vraisemblable possible.
Reconstitution 3D du pavillon royal de Marly © Aristeas |
Conformément aux tableaux des
frères Martin et aux descriptions écrites, l’ensemble peint à fresque a donc
été représenté de couleur pierre, rose et or ; cette palette chromatique est
d’ailleurs celle du Grand Trianon, construit également par Jules
Hardouin-Mansart quelques années plus tard.
Les corniches ont été restituées en
faux marbre rose : la présence d’un enduit rose retrouvé sur un morceau de
la corniche de l’un des pavillons vient corroborer cette hypothèse (conservé au
Musée-promenade). Les sources écrites soulignent la dorure ainsi que la
présence d’un bleu lapis. Il a paru pertinent d’appliquer les dorures sur les trophées, et
de réserver le bleu aux fresques des frontons représentant la course du char
d’Apollon dans le ciel.
Enfin, conformément à la coupe, les
fresques ornant le corridor extérieur et faisant le tour du Salon octogone, ont
été restituées en teinte pierre, avec des décors de grisaille.
Le château, pièce par pièce…
Pour la reconstitution 3D de
l’architecture intérieure du château, les membres du comité scientifique ont du se prononcer
avec exhaustivité sur tous les éléments : modénature,
décor, mobilier, ameublement, peinture.
Surprenante de prime abord, la prédominance
de la couleur blanche est pourtant clairement attestée dans les Comptes des Bâtiments du Roi qui
soulignent régulièrement la réfection en blanc du rez-de-chaussée de Marly. Seuls
les cadres de glace et les bordures des tableaux sont dorés.
Le Grand Salon octogone est bien
connu grâce à la coupe des Archives nationales. Aristeas en a proposé une restitution 3D à différentes heures du jour et de la nuit.
Les partis de restitution sur les
vestibules nord et sud ont été plus difficiles à arrêter en raison des
modifications qu’ont eu à subir ces deux pièces, avec notamment l’installation
de grandes cheminées. Le comité a finalement retenu comme source principale le
dessin de Gabriel.
La reconstitution 3D des trois
pièces composant l’appartement du roi (antichambre, chambre et cabinet) a
constitué un véritable défi puisque nous n’en connaissons aucune représentation,
hormis les dessins des trumeaux de cheminées mentionnés ci-dessus. Seuls nous
sont parvenus des plans et surtout des inventaires répertoriant de très
précieuses informations : couleur des meubles d’étoffes des trois pièces
(tentures murales, rideaux et tissus d’ameublement), marbre des cheminées et,
bien sûr, pièces de mobilier avec leur emplacement…
Restitution 3D de la cheminée de l'antichambre de l'appartement du roi à Marly. A gauche, la gravure qui a permis la restitution du décor. © Aristeas |
Une « recomposition »
virtuelle du mobilier
Menée particulièrement sous
l’égide de Stéphane Castelluccio, l’une des « enquêtes » les plus
passionnantes fut sans doute celle concernant le mobilier. En effet, en dehors
d’une table des vestibules (conservée au Salon de Mars du château de
Versailles) et d’un paravent passé récemment en vente publique, aucun mobilier
du château de Marly ne nous est resté… Pour tous ces éléments, Hubert Naudeix a
donc du rechercher des solutions de représentation, au cas par cas.
Vestibule est. La table reconstituée en 3D est l'un des seuls mobiliers existants de Marly © Aristeas |
La reconstitution 3D présente ainsi
des pièces de mobilier existantes, correspondant à la description des
inventaires, mais ayant été commandées pour d’autres demeures royales
(exemple dans l’antichambre : les deux commodes estampillées Boulle, en
marqueterie d’écaille et de cuivre, avec trois tiroirs et ornement de bronze
dorée). Malheureusement, les meubles crées pour Marly n’ont pas toujours eu, ou
n’ont plus aujourd’hui, d’équivalents dans d’autres collections ; Hubert
Naudeix a donc entrepris de les recomposer virtuellement. Les niches des chiens
du vestibule, les cabinets ou encore le bureau de la chambre du roi (dont le
décor Boulle a été imaginé à partir d’un autre bureau de Louis XIV, conservé au
Metropolitan de New-York) ont ainsi été « recréés » d’après une
analyse minutieuse des inventaires et des sources diverses. Dans cette
recherche du moindre détail, chaque indice s’est avéré précieux. Ainsi une
anodine description du contenu a-t-elle pu nous renseigner sur les dimensions
du contenant (les inventaires soulignent, en donnant leur dimension et leur
nombre, l’existence de petites maquettes de boutique réalisées en filigrane et
qui ont donné la taille du meuble les accueillant). Dans un même esprit, la
description des étoffes, souvent très précises, a permis de recomposer virtuellement
les brocarts.
La précision des documents et le
travail d’analyse ont donc permis de proposer des hypothèses de restitution
allant dans le moindre détail…
Aujourd’hui au Musée-promenade : une maquette et une visite
virtuelle
Une fois effectuée par Hubert
Naudeix, la modélisation 3D a été « déclinée » en deux produits
muséographiques distincts : une visite virtuelle et une maquette.
La visite virtuelle commence dans
les jardins, en bas de la grande allée qui mène à l’emplacement du château. La
reconstitution 3D du pavillon surgit alors dans son environnement actuel. Dès
lors, le visiteur est invité à déambuler devant, puis à l’intérieur du château,
grâce à une manipulation sur écran tactile. En se déplaçant dans l’image
virtuelle, il peut faire apparaître des notices explicatives sur certains
tableaux, mobilier ou éléments d’architecture. Toutes les images de synthèse
qui composent la visite virtuelle ont été produites à partir de la modélisation
3D du pavillon. Les calculs numériques ont permis de créer des mouvements de
caméra et des effets de lumière dans le décor virtuel. Afin de rendre la
sensation d’une véritable promenade dans les lieux, le cadrage a toujours été celui
dit « en caméra subjective », c’est-à-dire à hauteur d’homme.
Certaines vues sont particulièrement spectaculaires, comme celle du Grand Salon
vue depuis la loge des musiciens à l’étage.
La maquette réalisée en prototypage d'après le modèle 3D d'Aristeas : travail en cours puis exposée au Musée-promenade © Aristeas |
La conception de la modélisation
3D du pavillon de Marly donne une représentation de l’état des connaissances sur
son architecture ; sur certaines questions, elle a même engendré de nouvelles
interrogations pour lesquelles le comité a été invité à proposer des
hypothèses. En cela, elle constitue une remarquable synthèse des dernières
recherches sur ce palais disparu.
Le souci permanent d’étayer les
différentes hypothèses de restitution et le sens du détail qui ont prévalu tout
au long de ce projet, notamment dans la reconstitution de l’ameublement
intérieur, font de cette restitution 3D un projet exceptionnel.
Au-delà, la modélisation 3D du
pavillon royal de Marly permet désormais de proposer aux visiteurs du
Musée-promenade un film en image de synthèse et une maquette : de la
recherche scientifique à la médiation, il n’y aura eu qu’un pas…
Cet article a été publié dans la revue « Marly,art et patrimoine »,
n° 7, 2013
A lire
Marly, par Stéphane Castelluccio
Editions Gourcuff Gradenigo, 240
p., 59 €